mercredi 8 juin 2016

réflexions sur la genèse d'un conflit social



Rechercher des explications quand les mouvements sociaux paraissent spontanés est souvent délicat. Les sociologues se perdent alors en conjectures et évoquent une démocratie " horizontale" hors des hiérarchies. On peut cependant tenter de faire quelques rapprochements sans prétendre qu'il s'agit de la seule explication définitive :

1- L'un des points de départ pourrait être hors de l'hexagone : le mouvement espagnol "Podemos" de Pablo Iglesias. Ce parti prend racine avec la contestation des " Indignés' qui jugeaient insupportables les réformes structurelles décidées par le gouvernement espagnol alors que le taux de chômage était (en 2012-2013) supérieur à 25 %. Il s'agissait de rechercher un autre "modèle social" . Ce mouvement d'extrême gauche se référait à l'époque au Venezuela et à ses alternatives économiques.

2-Alors que les sondages enregistrent une baisse des intentions de vote pour Podemos quelques mois avant les élections législatives de décembre 2015 Pablo Iglesias s’efforce de trouver un nouveau souffle dans un cadre européen . A Paris en septembre 2015 il retrouve plusieurs leaders français d'extrême gauche (dont Jean-Luc Mélenchon) , des députés PS "frondeurs", l'économiste Thomas Piketty et ceux qui seront à l'origine de "nuit debout" (François Ruffin)  L'objectif de M. Iglesias est - au delà de son idylle avec le Premier ministre grec Alexis Tsipras - de placer Podemos au centre d'un projet européen"pour un vrai changement démocratique en Espagne et dans le monde ". 

3-Sur ces entrefaites (le 17 février 2016) le projet de loi "El Khomri'' (devenu "loi Travail") est dévoilé sans vraie préparation de l'opinion publique . Certes une opération de communication était difficile puisque les Français ne voient guère qu'un "chiffon rouge" : des licenciements plus faciles en cas de difficulté économique. Or le cœur de la loi tient en son article 2 qui place l'entreprise (au niveau local) au centre des discussions ce que redoute par dessus tout le syndicat CGT qui privilégie les accords nationaux au sein des branches professionnelles auxquels les entreprises doivent se conformer (d'où la crainte d'une "inversion des normes" qui pourrait favoriser le syndicat CFDT concurrent).

4-C'est à ce moment (23 février) qu'une réunion a lieu à la Bourse du Travail pilotée (notamment) par François Ruffin . Le mouvement "nuit debout" qui s'en suit apparaît comme un prolongement des discours de septembre (Iglesias, Piketty, "frondeurs", Melenchon) et va profiter - occasion inespérée - de la maladresse gouvernementale dans la présentation d'un projet de loi ressenti comme un cadeau aux "patrons" d'entreprises.

5-Tout va ensuite s'enchaîner : mobilisation en mars contre la "loi Travail" et jonction (fin avril) avec les mouvements pilotés par la CGT dont le Secrétaire général , Philippe Martinez a été réélu le 22 avril 2016 en s'appuyant sur l'aile radicale de la CGT. Le 10 mai le projet de loi est présenté en première lecture à l'Assemblée nationale et le Premier ministre engage la responsabilité du gouvernement (sur la base de l'article 49-3 de la Constitution) du fait de l'effritement du soutien des parlementaires socialistes.. Alors que le nombre de manifestants semble faiblir le syndicat CGT prends le relais. On se situe désormais dans un bras de fer à connotation politique  " en ligne" avec le changement de modèle de société conforme aux voeux que Podemos (entre autres) souhaitait inscrire dans un cadre européen . Dans ce contexte Jean-Luc Mélenchon qui prédisait une situation "quasi révolutionnaire" va assurer la promotion de sa candidature à l'élection présidentielle de 2017 . Les blocages de raffineries, les mouvements de grève à la SNCF, les menaces des contrôleurs aériens et pilotes s'inscrivent dans une suite logique ... alors même que se tient - sans aucun lien - début juin le 37 ème Congrès du Parti communiste.

Qu'en est-il des Français? Ils s'émeuvent de l'image donnée à l'étranger à la veille de la compétition "Euro". Ils sont toujours circonspects  - faute de pédagogie - au sujet de la "loi Travail" mais affirment leur harassement et leur incompréhension devant des grèves jugées désormais totalement corporatistes (cf. éboueurs, cheminots, pilotes) .  Ils attendent - notamment de la part des grévistes de la  SNCF -  une sortie du tunnel sachant que Guillaume Pepy, son PDG pourrait être tenté de démissionner . De manière générale ils s'interrogent aussi sur la gestion de crise par le gouvernement.


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Ce "fil conducteur" est ténu puisque mettant bout à bout des événements paraissant en lien. Il serait risible d'ailleurs de tout faire découler des rencontres de septembre avec Podemos plaidant pour une radicalité européenne. Il faut noter que le terrain est alors propice : insécurité , chômage, couacs chez les parlementaires PS à l'origine du recours à l'article 49 de la constitution, retrait du projet (symbolique) de "déchéance de la nationalité " . Toutefois - par delà les lames de fond que certains sociologues croient percevoir - on peut aussi déceler des ambitions, des enjeux de pouvoir et des "coups d'envoi" qui ouvrent le match.


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