mardi 12 mai 2020

Énigme / enquête : La Tunique du Christ conservée à Argenteuil

                                                  

Ce Post "technique" concerne les historiens (cf.Jean-Christian Petitfils avec qui j'ai correspondu) , les curieux ... (de tous ordres) ... et mes amis d'Argenteuil .

JPM



La Tunique du Christ conservée à Argenteuil  est  depuis le Moyen-Age (12-13 ème siècle) l'objet d'une dévotion particulière mise en relief , notamment , par l'émission de télévision de Franck Ferrand "L'ombre d'un doute : les derniers jours de Jésus" diffusée pour la première fois en avril 2015 et à diverses reprises depuis lors .

I- Or l'authenticité de la relique est sujette à caution (comme d'ailleurs beaucoup de reliques ) car , selon la légende , la Tunique venant de Byzance aurait été offerte par Charlemagne à sa fille Théodrade , abbesse d'Argenteuil . Mais , par la suite , la tunique aurait disparu (au moment des invasions vikings du début 800 ? ) et réapparu en 1156 : Hugues d'Amiens , archevêque de Rouen (1) et le roi Louis VII auraient été présents à l'occasion d'une grandiose cérémonie ...qu'aucun historien de l'époque ne relate tout comme aucun historien ou chroniqueur ne relate la venue de Charlemagne à Argenteuil en ces circonstances (ni Alcuin, ni Eginhard ni Nithard tout trois proches de l'empereur ) . L'abbesse Théodrade qui quitte Argenteuil dans les années 820 , au moment des invasions vikings , et se réfugie dans le monastère fondé par sa mère Fastrade de Franconie en  Bavière (Munsterscharzach) ne fait aucune allusion à cette relique majeure .

II- Ces épisodes auraient pu demeurer dans l'oubli jusqu'à ce que - en 2004 - une analyse d'un petit morceau de tissu du vêtement fasse l'objet d'une analyse au carbone 14 par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) . Cette analyse faite avec l'accord du Cardinal Lustiger , archevêque de Paris (2) va surprendre : le vêtement a été confectionné entre l'an 530 et 650 (3) . Il ne peut donc s'agir d'un vêtement ayant appartenu à Jésus . On sait qu'au moyen-âge les reliques (vraies et fausses) foisonnent et viennent alimenter une notoriété qui est aussi l'objet d'un commerce . 

III-Mais certains doutent du résultat de l'analyse au carbone 14 et mettent en cause sa fiabilité . C'est la raison pour laquelle il faut aussi aller au-delà des analyses strictement scientifiques et faire appel au bon sens : c'est pour cela que l'on peut - au-delà des analyses - mettre en avant quelques incohérences qui retiennent l'attention :

1-Il n'est fait aucune mention de la venue "en grande pompe ", selon la légende, de Charlemagne à Argenteuil par les historiens de l'époque (Alcuin ou Eginhard) tout comme aucun chroniqueur de cette époque ne mentionne la "redécouverte" de cette relique en 1156 en présence de Louis VII (le minutieux chroniqueur Guillaume de Nangis ne mentionne rien de cela pour l'année 1156 alors même qu'il passe en revue tous les faits et gestes du règne de Louis VII  .) 

2- Édification (1241-1248) de la Saint Chapelle par Saint-Louis pour abriter la couronne d'épine sans aucune mention de la Tunique du Christ ...qui serait donc anonymement demeurée à 10 km de Paris alors même que la Sainte Chapelle avait été conçue par Louis IX pour accueillir les reliques les plus marquantes de la Passion .

3- Aucune mention de cette relique majeure par Héloïse (épouse d'Abélard) qui fut abbesse du monastère d'Argenteuil de 1118 à 1128 et vécut jusqu'en 1164 . Certes la "Tunique" ne réapparut qu'en 1156 mais comment imaginer qu'Héloïse n'ait pas eu connaissance de cette relique découverte avec l'aura et la caution du roi Louis VII (si telle avait été la réalité) quand bien même Héloïse était alors supérieure du monastère du Paraclet à Nogent-sur- Seine  ? Dans sa dense correspondance avec Abélard , Héloïse - qui n'était pas confinée dans son monastère et restait proche de la Cour - aurait mentionné le "miracle " de la redécouverte de cette insigne relique . Tel , hélas , n'est pas le cas et le silence demeure total .

IV - Enfin l'analyse du textile de la Tunique par des experts révèle que son tissage a été effectué dans le sens "Z " c'est-à-dire de gauche à droite alors que , au Moyen-Orient ancien , tous les tissages sont effectués dans le sens" S "soit de droite à gauche .  Cela vient conforter - si tant est qu'un doute puisse encore subsister - l'origine occidentale du vêtement : la Tunique n'a pas été tissée en Palestine.

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Il arrive que religion et science ne fassent pas toujours "bon ménage " . Mais , bien évidemment, la datation au C 14 ne remet pas en cause la personne de Jésus ni la mission transcendante du Christ-Jésus  . Par contre le temps des "indulgences " a fait long feu . Faut-il ou non s'en réjouir ?


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(1) Hugues d'Amiens est un théologien très connu qui correspond régulièrement et directement avec les Papes (Innocent II , Eugène III , Adrien IV ) . Il est présent au concile de Tours de 1163 . Il ne mentionne jamais la "découverte" de la Sainte Tunique ...ni dans ses lettres ni dans ses interventions . Au demeurant , on sait que Hugues d'Amiens était très proche de Suger qui , voulant s'approprier le monastère d'Argenteuil pour le rattacher à l'abbaye de Saint-Denis , en chassa les moniales (dont Héloïse ) en 1130 .

(1 bis) Le document de 1156 - il y a tout lieu de penser - est soit un faux soit une déclaration de complaisance pour "redorer le blason" du monastère Sainte-Marie d'Argenteuil qui venait d'être rattaché à Saint-Denis . Ce sont d'ailleurs des moines de Saint-Denis qui auraient "retrouvé" la Tunique en 1156 ... à l'occasion soi-disant de travaux . C'est vraisemblablement une invention de toute pièce pour attirer des pèlerins ...et susciter les dons qui vont avec . Une autre preuve du caractère non authentique du document de 1156 : il fait référence au pape Adrien IV en mentionnant "d'heureuse mémoire " c-a-d , selon la terminologie de l'époque , défunt . Or à cette date Adrien IV est toujours vivant (il décède 3 ans plus tard en 1159 ) et Hugues d'Amiens qui correspond avec lui ne pouvait manquer de le savoir ;

(2) cf. ouvrage intitulé "Une si humble et si sainte Tunique : enquête sur une énigme " . Ed. François Xavier de Guibert . Paris 2005 . Jean-Maurice DEVALS (pseudonyme de Jean-Pierre MAURICE ). Voir page 27 (accord du Cardinal LUSTIGER ,archevêque de Paris, donné pour la réalisation de l'analyse au C 14 ) .

(3) Soit la période couvrant les règnes de Clotaire (fils de Clovis) à Dagobert 1er 

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